Anja, ex-chrétienne, Allemagne (partie 4 de 4)
Heide elle-même était relativement nouvelle au sein de l’islam. Mais elle connaissait très bien la communauté islamique de notre ville. Elle mettait du cœur dans tout ce qu’elle faisait. On lui avait déjà proposé un poste d’enseignante dans une école musulmane. Alors que nous roulions vers le lieu du regroupement, elle me dit :
« Le groupe est constitué d’une trentaine de femmes d’origine allemande et turque. Elles se rencontrent une fois par semaine dans les locaux d’un organisme islamique turc. La responsable du groupe, Maryam, est une Allemande convertie dans la cinquantaine. Elle a vécu quelques années en Turquie, avec son mari, où ils ont tous deux participé à de nombreuses activités liées à l’islam. Maryam, qui est maintenant veuve, a décidé de continuer dans la même voie et organise toutes sortes d’activités pour les musulmans. Elle donne des conférences sur divers sujets islamiques et a fondé ce groupe de femmes que nous allons rejoindre. Durant la rencontre, Maryam donne habituellement une courte leçon sur l’islam, puis les femmes restent sur place pour boire un thé et discuter. »
Cette semaine-là, c’était au tour de Heide d’apporter le gâteau qui allait accompagner le thé. Comme elle l’avait mis à cuire un peu tard, nous étions légèrement en retard. Alors elle accéléra en disant : « Maryam n’aime pas que les gens arrivent en retard. » Nous ne trouvâmes aucune place de stationnement près du bâtiment où nous allions, alors Heide fit le tour et entra dans la grande cour arrière. Juste à ce moment, une des voitures stationnées dans la cour s’apprêtait à quitter et un homme d’apparence turque nous fit signe de prendre la place libérée.
L’endroit était bondé et je demandai à Heide si tout le monde se rendait au même local que nous. Elle rit : « Ce serait bien ». Mais l’endroit était bondé parce que l’immeuble abritait plusieurs organismes turcs dont les membres se rencontraient régulièrement.
Dès que nous ouvrîmes la porte, Heide fut accueillie chaleureusement. « Hé, Khadija! Comment vas-tu? As-tu apporté un de tes délicieux gâteaux? Les autres sont dans la cuisine; Maryam est sur le point de commencer sa leçon. » Des femmes vêtues de longues robes et de grands foulards nous croisèrent. Et j’entendis à de multiples reprises la salutation islamique « assalamou’alaikoum ».
Je fus accueillie de la même manière que Heide et plusieurs des femmes présentes m’embrassèrent sur les joues. Les invitées étaient donc les bienvenues! Les femmes étaient contentes de ma présence et admiraient mon courage de venir constater par moi-même comment étaient les musulmans entre eux.
Comme nous étions arrivées à la dernière minute, la leçon débuta à peine quelques instants plus tard. Heide déposa son gâteau dans la cuisine, puis nous allâmes rejoindre les femmes dans l’autre salle. Cette salle était recouverte de tapis gris. Et, à part une étagère à livres, contre un des murs, elle ne contenait aucun meuble. Les femmes étaient assises en cercle, à même le sol. Elles avaient laissé leurs chaussures à l’extérieur de la salle, tel que le veut la coutume dans les mosquées et les demeures musulmanes.
Maryam avait disposé plusieurs livres devant elle. C’était une femme corpulente avec des yeux bleu clair qui nous regardaient amicalement sous un simple foulard blanc. Ce jour-là, elle parlait de la continuité de l’histoire telle que documentée dans le Coran. Elle parla des différents prophètes, qui avaient tous transmis le même message de monothéisme. La leçon ne contenait pas vraiment de nouvelles informations pour moi. L’islam reconnaît la plupart des grands prophètes de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Certains détails de leurs histoires respectives diffèrent, mais grosso modo, ce sont les mêmes histoires.
En fait, mon attention fut plus attirée par les personnes présentes que par la leçon que chacune écoutait d’une oreille plus ou moins attentive. « N’est-il pas étonnant de constater qu’entre chaque prophète, le message de Dieu avait été oublié, encore et encore? » Pour certaines des femmes présentes, l’information semblait nouvelle. « Dans le Coran, il y a une sourate qui situe les histoires des prophètes dans un contexte global. Qui sait à quelle sourate je fais allusion? » Il y avait des femmes de tous les âges, plusieurs d’origine allemande et quelques jeunes filles turques, manifestement de jeunes étudiantes, qui ne cessaient de se chuchoter des choses à l’oreille et qui passaient leur temps à sortir de la salle pour y revenir quelques instants plus tard, ce qui dérangeait Maryam à chaque fois. Elle finit d’ailleurs par dire : « Si vous ne voulez pas écouter, restez donc à l’extérieur de la salle! » Toutes les femmes avaient la tête couverte; leurs foulards étaient de toutes les couleurs et de tous types de tissus, simplement attachés sous le menton ou savamment drapés autour de leur tête. Certaines faisaient descendre leur foulard sur leur front, tandis que d’autres montraient la lisière de leurs cheveux. « Les gens se tournent toujours vers Dieu quand ils ont des problèmes et se détournent de Lui lorsqu’ils sentent qu’ils n’en ont plus besoin. » Certaines femmes avaient amené avec elles de jeunes enfants.
L’un d’eux découvrit l’interrupteur de la lumière de la pièce et s’amusa à l’éteindre et à le rallumer. « Svp, pouvez-vous éloigner cet enfant de l’interrupteur? » Finalement, la mère de l’enfant emmena ce dernier dans la cuisine, où il vit le gâteau de Heide, ce qui le tint occupé pour au moins un quart d’heure. Mais, quand plusieurs portables se mirent à sonner à peu près au même moment et qu’une des étudiantes turques vint demander combien de tasses de thé et de café elle devait préparer, Maryam en eut assez et dit : « Nous continuerons la semaine prochaine; allons prendre le thé. » C’est alors que j’eus enfin l’occasion de discuter avec les autres femmes, qui me firent sentir comme si j’étais leur sœur. « Tu prends du café ou du thé? » « Sers-toi du gâteau! » Bientôt, tout le monde parlait en même temps et de petits groupes de femmes se formèrent ici et là. Évidemment, toutes voulaient savoir qui j’étais et la raison pour laquelle je me trouvais parmi elles. Maryam raconta combien de temps cela avait pris pour que sa foi augmente et devienne vraiment présente dans sa vie. « Mais je n’ai jamais regretté ma décision de me convertir à l’islam. » Heide, quant à elle, ne connaissait pas beaucoup l’islam au moment de se convertir. Mais elle ajouta que jusqu’alors, elle n’avait été que positivement surprise. Ce qui l’avait d’abord attirée vers l’islam avait été son mode de vie sain; abstinence de drogues et d’alcool, prières, jeûnes, règles d’hygiène; tout cela avait beaucoup de sens pour elle, qui enseignait la biologie et l’éducation physique.
Maryam parla du fait que les cinq prières quotidiennes avaient fait du bien à son dos. Puis elle parla de ses années en Turquie et de l’histoire turque. Ce jour-là, je fis la connaissance de plusieurs femmes et chacune me raconta comment elle avait été amenée à se convertir à l’islam.
Après son divorce, Hamida était devenue amie avec un couple turc et c’est ainsi qu’elle avait découvert l’islam, pour ensuite se convertir. Sa fille de 15 ans, Nina, était restée chrétienne. Elle était pourtant parmi nous, à la rencontre.
Fatima-Elizabeth, étudiante en enseignement dans la mi-vingtaine, avait trouvé, quelques années auparavant, un emploi d’été étudiant dans une usine et sa voisine de travail était une musulmane d’origine allemande. La famille de Fatima-Elizabeth était catholique très pratiquante. Ses parents reçurent un choc lorsqu’ils apprirent que leur fille s’était convertie à l’islam. Mais après quelques années, ils firent tous des efforts pour s’entendre et tout se passait maintenant assez bien.
Sabine, une infirmière qui avait connu l’islam par l’intermédiaire de son futur époux, n’eut pas cette chance avec sa famille. Son père l’expulsa de la maison à cause de son hijab. Parmi les autres femmes présentes, il y avait des mères, des femmes au foyer, des étudiantes, une secrétaire et une assistante dentaire, entre autres. Il y avait des célibataires, des femmes mariées et des divorcées. Leurs maris venaient de Turquie, du Liban, du Yémen, du Maroc et d’autres pays que j’ai oubliés. Certaines femmes avaient changé leur nom, d’autres l’avaient gardé. En fait, la seule chose commune à toutes ces femmes était leur religion. Et cette religion donnait un sens à leur vie, un cadre dans lequel elles évoluaient au quotidien.
Ce jour-là, j’appris deux choses. D’abord, que ce cadre de vie établi par l’islam n’est pas aussi étroit que je l’avais imaginé. Qu’il n’existe pas de musulman typique et que les musulmans sont loin de former un groupe homogène. Une musulmane est d’abord et avant tout une femme, une femme qui a pris la décision de se rapprocher de Dieu par l’intermédiaire de l’islam. Ces femmes, que j’avais rencontrées, avaient pris la décision d’embrasser l’islam, mais cela ne les avait pas empêchées de rester elles-mêmes.
Ensuite, je réalisai qu’on ne finit jamais d’apprendre. J’avais rencontré toutes ces femmes très pieuses, mais malgré leur piété, elles étaient loin de tout savoir et elles étaient en perpétuel apprentissage. Mais, plus important, encore, que le savoir, est la foi inébranlable.
« Nous avons bel et bien créé l’homme, et Nous savons ce que son âme lui suggère; et Nous sommes plus proches de lui que sa veine jugulaire. » (Coran 50:16)
Quelques semaines plus tard, je pris enfin ma décision. Après deux ans et demi, je décidai d’embrasser l’islam. Ce qui m’amena à prendre cette décision fut la pensée que si je mourais subitement, je ne saurais comment expliquer à Dieu le fait que je n’étais pas encore musulmane au moment de ma mort alors que je savais que l’islam était la vérité. Je compris que je n’avais plus aucune raison de remettre cela à plus tard et que la seule chose logique à faire était de prononcer la shahadah (profession de foi) : « J’atteste que nulle autre divinité que Dieu ne mérite d’être adorée et que Mohammed est Son prophète. »