Dr Moustafa Mould, ex-juif, États-Unis (partie 2 de 5)


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Je fréquentai également une « madrasah » de niveau supérieur, où j’étudiai l’histoire juive, l’hébreu, la Torah, l’araméen et le Talmud (fiqh juif), bien que les langues demeuraient mon intérêt principal.  Au cours de cette période, vers l’âge de quinze ans, je perdis la foi, ma croyance en Dieu.  Avant ce moment, au cours des années précédentes, mon raisonnement avait été que si Dieu nous ordonne de faire certaines choses, comment pouvions-nous ne pas les faire?  J’étais alors plus orthodoxe.  Puis, un jour, j’en vins à me dire : d’accord, si Dieu nous dit de faire toutes ces choses, nous devons les faire.  Mais si Dieu n’existait pas?  Est-ce que je crois vraiment en Dieu?  Peut-être, peut-être pas… Non, je ne crois pas.  Et si Dieu n’existe pas, alors je n’ai pas besoin de faire toutes ces choses.  Alors je cessai de les faire.  Je crois que vous pouvez très bien imaginer à quel point mon père en fut fâché.

 


Plusieurs individus – et surtout les catholiques et les protestants fondamentalistes qui ont grandi dans un environnement très strict, constamment menacés d’Enfer et de damnation, battus par des religieuses à l’école et habitués à se faire dire que leurs besoins physiques, qui sont pourtant naturels, sont quelque chose de honteux – ces individus, donc, sont souvent plus qu’heureux de quitter leur religion et il arrive que, se sentant comme libérés d’une prison, ils deviennent très antireligieux.  Personnellement, ce n’est pas ce que j’ai vécu.  Lorsque je me détournai de ma religion, c’est un sentiment de tristesse qui m’envahit, comme si je venais de perdre un être cher sans pouvoir y faire quoi que ce soit.  Je réalisais que le fait de croire avait été réconfortant et rassurant, mais je n’arrivais plus à forcer cette croyance en moi.  Durant toutes les années 60 et 70, je fus tenaillé par ces sentiments et désirs ambivalents.

 


Comme le disait Jeffrey Lang dans son ouvrage où il raconte sa conversion à l’islam, il y a, chez l’athée, un sentiment de vide et de solitude que les croyants peuvent difficilement comprendre.  Pour l’athée, le monde est absurde et n’est que le produit d’une multitude de coïncidences.  La science a, ou aura, toutes les réponses ou presque, mais la vie n’a aucune signification logique.  La mort est définitive.  Vous pouvez, au cours de votre vie, avoir une influence positive sur vos enfants et le monde qui vous entoure; vous pouvez réussir votre vie, rester dans les mémoires par le biais des livres d’histoire durant des siècles et même des millénaires; lorsque le soleil s’éteindra, l’humanité ira peut-être coloniser d’autres systèmes solaires, peut-être même d’autres galaxies; mais à la fin, même si cela doit prendre 15 milliards d’années, l’univers tout entier finira par mourir ou par être absorbé dans un immense trou noir ou peu importe; à la fin, il n’y aura plus que le vide absolu et lui seul sera éternel.  Vues sous cet angle, la vie est insensée et la mort, terrifiante.  La vérité et la moralité deviennent relatives, ce qui mène souvent à la confusion morale, à l’hédonisme ou pire encore.  Mais, plutôt que de mépriser les croyants comme le font beaucoup d’athées, j’éprouvais plutôt du respect envers eux et j’enviais leur sentiment de sécurité, leurs certitudes et la tranquillité qu’ils ressentaient.

 


C’est presque du jour au lendemain que je passai de juif orthodoxe à athée, ce qui ne m’empêcha pas de toujours aimer la langue, la culture, la musique, la cuisine et l’histoire juives.  J’étais devenu un juif « ethnique » et j’étais, par ailleurs, toujours sioniste, une philosophie beaucoup plus politique que religieuse.  En fait, à cette époque, il y avait encore beaucoup d’orthodoxes qui s’opposaient au sionisme.  Le sionisme religieux et messianique que l’on connaît aujourd’hui ne vit le jour qu’aux environs de 1967-1973, quand Israël s’empara de Jérusalem.  Je décidai, à ce moment, que je voulais devenir linguiste spécialisé en langues sémitiques; mais les universités que j’avais choisies ne m’acceptèrent pas et celles qui m’acceptèrent n’offraient pas de cours d’arabe, ni même de linguistique.


Au début des années 60, à l’université, j’eus l’occasion de côtoyer des gens d’origines diverses.  Pour la première fois de ma vie, je me retrouvai en contact quotidien avec un grand nombre de protestants, d’Afro-Américains et d’étudiants étrangers, dont certains étaient musulmans.  Je n’avais plus à affronter d’antisémitisme, ce qui me permit d’apprécier la diversité de l’Amérique et mes contacts avec les étudiants étrangers.  À la fin de ma deuxième année universitaire, je mangeais sans culpabilité du bacon et des côtes de porc, tandis que je devenais président, sur le campus, de notre branche de l’Organisation sioniste étudiante.  Lors de ma dernière année, j’étais le vice-président de la région de la Nouvelle-Angleterre de cette organisation.


Nous étions, pour la plupart, de gauche, car nous étions issus de familles ouvrières dont l’éventail politique allait de libéral-démocrate à communiste.  Nous étions en faveur des syndicats et de l’Union américaine pour les libertés civiles, et contre McCarthy, Nixon et la Commission de la Chambre sur les activités non-américaines.  Nous admirions Franklin D. Roosevelt, Hubert Humphrey et Adlai Stevenson.  Nous étions pour le sionisme socialiste et les kibboutzim.  Il y a une chose que je souhaite mettre au clair, à cause de l’impact profond qu’elle eut sur moi des années plus tard : à cette époque, la plupart des juifs étaient socialistes ou libéral-démocrates; beaucoup faisaient encore partie de la classe ouvrière et ne réussissaient pas aussi bien qu’aujourd’hui.  Je me souviens très bien du parti de droite Herut, de son idéologie expansionniste et de ses activités terroristes dans les années 40.  Nous les considérions comme des fanatiques et des lunatiques.


Je m’inscrivis à un séminaire sur le Moyen-Orient.  À l’âge de dix-neuf ans, je croyais tout savoir.  Mon enseignant était syrien et je crois qu’il était musulman.  Je me mis en tête de lui apprendre certaines choses.  Il fut remarquablement patient et tolérant envers moi, surtout si l’on considère sa position ouvertement antisioniste et anti-Israël.  Les critiques qu’il formulait sur mes travaux étaient objectives et inoffensives; il jugeait mes travaux trop biaisés.  C’est ainsi qu’il m’amena, petit à petit, à m’ouvrir à d’autres points de vue.  Et je réalisai à quel point j’avais absorbé de propagande, au fil des ans, et à quel point j’avais sciemment ignoré un grand nombre d’informations.  Je n’obtins pas une très bonne note, pour ce cours, mais j’y appris beaucoup de choses.  Et c’est le professeur Haddad qui me fit réaliser que l’on pouvait être à la fois non-pratiquant et religieux.

Au cours de la même période, je devins de plus en plus impliqué au sein des mouvements pour les droits civils et contre la guerre du Vietnam.  Je devins membre du Comité étudiant pour la non-violence et du National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) (Association nationale pour l’avancement des gens de couleur) et participai à divers sit-ins.  Je fus, par ailleurs, membre fondateur de l’aile moyennement radicale des « Étudiants pour une société démocratique » de notre campus.  Je reçus mon diplôme avec une majeure en politique, après avoir réussi plusieurs cours en loi constitutionnelle et en relations internationales.  Je me rendis à Washington D.C., en août 1963, pour participer à la manifestation « March on Washington » et me tins à moins de 60 pieds de Martin Luther King lorsqu’il fit son célèbre sermon.


J’avais donc perdu la foi à l’âge de 15 ans et maintenant, à l’âge de 22 ans, je tournais le dos au sionisme.  Je ne reniais pas mon héritage ethnique, mais j’étais de plus en plus inconfortable avec la mentalité de clan d’une majorité de juifs.  Je me sentais comme un Américain moyen, qui se battait pour des causes américaines.  Je voulais enseigner les sciences sociales, mais le marché du travail était difficile.  Après deux années passées à faire du remplacement, puis à occuper un poste temporaire à mon ancienne école secondaire, je me joignis aux Peace Corps (organisation américaine de coopération et d'aide aux pays en développement) par soif d’aventure et en espérant que cela améliore, plus tard, mes perspectives d’emploi (et, aussi, pour éviter d’être envoyé au Vietnam).  Ils décidèrent de m’envoyer en Ouganda, en Afrique de l’Est.


Je fus très heureux durant mon séjour dans ce superbe pays.  Je vivais là où le lac Victoria se jette dans le Nil Blanc et j’enseignais à des étudiants qui voulaient vraiment apprendre, dans une société où les enseignants étaient respectés.  J’y appris de nouvelles langues et de nouvelles cultures.  J’y développai un goût certain pour la cuisine africaine et indo-pakistanaise.  Comme il n’y avait pas beaucoup de distractions dans cette petite ville d’arrière-pays, je pris l’habitude d’aller voir des films indiens.  J’aimais particulièrement le chanteur Mohammed Rafi, surtout ses qawalis, qui me rappelaient la musique de chantre de mon père.  J’appréciais aussi l’ambiance arabo-islamique que je trouvais lorsque je me rendais sur la côte, à Mombasa, Dar es-Salam et Zanzibar.  C’est d’ailleurs en ces lieux que j’entendis, pour la première fois, l’adhan (appel à la prière) de mes propres oreilles (plutôt que dans un film).  Même dans les films, sa mélodie plaintive m’envoyait des frissons dans l’échine.


Lors de mon séjour là-bas, j’appris deux langues africaines, le swahili et le luganda.  Le swahili fut très facile, pour moi; près de la moitié de son vocabulaire provient de l’arabe et ressemble donc beaucoup à l’hébreu.  Mais le swahili est une langue bantoue et j’étais fasciné par les similitudes et les différences entre le swahili et le luganda.  Je me décidai : c’était ma dernière chance de faire ce que j’avais toujours voulu faire – des études de linguistique – mais cette fois, j’étudierais les langues bantoues plutôt que les langues sémitiques.  Je fis mon inscription aux études supérieures de linguistique.

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